Le Brésil, victime des clichés samba-cocotiers

Publicado: 2018-11-07   Clicks: 5581

     Peur Driss Ghali
 
     En France, les médias ne s’en remettent pas: le pays du carnaval, de la samba, du roi Pelé a convoqué à sa tête un « fasciste », « raciste », « homophobe »: Jair Bolsonaro. La radicalité de leur rejet du choix du peuple brésilien n’a d’égal que la ténacité de leurs clichés à l’égard de ce dernier.
Le Brésil est peut-être le seul pays au monde qui se laisse connaître par des clichés et rien que par des clichés. C’est le pays de la samba, des métisses toujours souriantes et de la noix de coco. En tant que Marocain, je m’y connais un peu dans les clichés car mon propre pays fait l’objet de clichés, tous aussi inexacts et fallacieux les uns que les autres, du genre : « Maroc, pays de la tolérance » ou « Maroc, pays tenu d’une main de fer ». Marocain et résident au Brésil depuis sept ans, je m’autorise donc à briser ou du moins à nuancer certaines analyses lues ici et là au sujet des élections brésiliennes.
    Vous avez dit « fasciste » ?
    On nous dit que Bolsonaro est fasciste. On s’en gargarise même. Démonter cette énormité mériterait un article en entier qui très certainement ne sera pas lu par les apprentis inquisiteurs qui prolifèrent en France. Ils sont dans la croyance religieuse et celle-ci ne souffre pas de remise en question. Je me limiterai donc à souligner que Bolsonaro est un évangélique, c’est-à-dire un homme religieux affilié à une des nombreuses églises protestantes du Brésil. Sa femme aussi. La plupart de ses électeurs le sont. Il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi et de paresse intellectuelle pour confondre un évangélique avec un fasciste. Pour ma part, je ne connais pas de fasciste réel (de l’époque de Mussolini par exemple) qui ait été un chrétien militant. Bien au contraire, le fascisme italien méprisait le Vatican et les valeurs de l’Eglise (par trop molles, par trop humanistes, par trop bourgeoises). Et chez les nazis allemands, il y avait bien une tendance « catholique » (je demande pardon aux catholiques pour l’abus de langage mais je dois aller vite) mais elle n’a jamais pesé lourd face à Hitler, un païen radical.
 
     Autour de moi (je ne peux pas voter au Brésil car je suis étranger), j’ai vu ma femme de ménage (une métisse du Nordeste) voter Bolsonaro, mon gardien (un noir du Nordeste) voter Bolsonaro, mon épouse (une Brésilienne de sang juif autrichien) voter Bolsonaro, un ami homosexuel voter Bolsonaro. A Sao Paulo, 68% des votes valides ont été pour Bolsonaro. A Rio de Janeiro, une ville à 50% noire, 67% des suffrages ont été pour Bolsonaro. Il faudra donc m’expliquer quel virus sadomasochiste a poussé des « minorités » à se jeter dans les bras d’un apprenti fasciste ! Il faudra aussi expliquer à ma femme comment le seul candidat ouvertement pro--Israël peut être fasciste… 
Si l’on est sérieux cinq minutes, on peut ouvrir les yeux et accepter de voir deux des principaux facteurs qui alimentent le vote Bolsonaro. D’une part, ma femme de ménage et mon gardien sont évangélistes comme Bolsonaro. Ils ont suivi les consignes de vote passées dans leur église. Ensuite, ma femme et mon ami homosexuel en ont par-dessus la tête de la gauche brésilienne qui a mené le pays à la ruine, leur faisant perdre à eux deux leur emploi. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, je me limiterai à rappeler que la gauche brésilienne a rendu possible le plus grand scandale de corruption de l’histoire du monde : Petrobras ! La mise à sac du géant brésilien des hydrocarbures a conduit l’intégralité des trésoriers du Parti des travailleurs (PT) en prison : ils sont quatre trésoriers derrière les barreaux.
 
    Le rejet de la gauche est bien plus qu’un phénomène idéologique (ma femme a toujours voté centre-gauche et mon ami homosexuel est de gauche). Mais il faut voir le type de campagne menée par les adversaires de Bolsonaro. Leur slogan a été : « Lula é Haddad ». Autrement dit, Haddad s’est présenté comme le proxy de Lula, le candidat réel à l’élection présidentiel. Or, Lula est en prison pour douze ans (corruption). Le but avoué de la gauche brésilienne était de faire élire Haddad et de faire libérer Lula l’an prochain via une grâce présidentielle. Ensuite, Lula aurait été nommé ministre pour lui éviter toute poursuite future (immunité). Cela s’appelle de l’obstruction à la justice. Le Brésil a certes beaucoup à se reprocher sur le plan moral mais il n’est pas encore une république bananière. Il s’y refuse.
 
    Le vrai fascisme, c’est le crime organisé
Je lis aussi que « Bolsonaro sera un président autoritaire de droite ». Il ne peut s’agir que d’une blague ! Comment instaurer un régime autoritaire avec une police incapable de contrôler des pans entiers du territoire ? La moitié de la population de Rio de Janeiro vit sous le joug des gangs. A Sao Paulo, où j’habite, toutes les banlieues sont aux mains du PCC (Primeiro Comando da Capital), une mafia qui dispose de 10 000 combattants. L’intégralité du système carcéral est contrôlée par le crime organisé. Dans ces conditions, il faudra à Bolsonaro beaucoup de motivation et d’efforts pour instaurer un régime autoritaire au Brésil…
 
     Nous vivons déjà dans une dictature au Brésil, celle du crime organisé. Ce sont eux les fascistes. Ils sont pour beaucoup dans la mort violente de plus de 62 000 Brésiliens l’an dernier, ils tondent les femmes qui osent dire non à leurs « guerriers », ils brulent vifs les homosexuels et les journalistes qui ont le malheur de mettre les pieds dans une favela sans y être invités, ils coupent les têtes de leurs opposants en prison. Ce sont eux les narco-fascistes qui sont en train de transformer le Brésil en un enfer. Combien de morts et de massacres faudra-t-il pour que les observateurs étrangers comprennent à quel monstre le Brésil a affaire ?
 
     Le carnaval aura bien lieu
    Ne vous inquiétez-pas, Bolsonaro ou pas, le carnaval aura lieu en février prochain et les bikinis microscopiques continueront à fleurir à Ipanema. Les clichés auront la vie sauve. Il est même fortement probable que les gangs garderont le contrôle des favelas quoi qu’en dise Bolsonaro. Ce cliché-là va survivre lui aussi et il y aura toujours des « analystes » pour s’extasier devant l’échec du Trump brésilien. Quel que soit le suffrage, les clichés gagnent toujours.

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